Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/260

Cette page a été validée par deux contributeurs.
253
LE BACHELIER GÉANT.

chassait le doigt des Prophètes, et qui fuyaient emportant famille et patrie sur une terre lointaine et maudite !

Nous arrivâmes sans encombre à l’auberge où nous retrouvâmes fraîchement débarquée la troupe qu’allait rejoindre notre compagnon.

Le chef nous offrit de travailler avec lui, à condition toutefois que je donnerais ma démission de géant et trouverais un truc nouveau. Il n’avait point de théâtre, ne pouvait et ne voulait point en établir.

Le sort en était jeté !

Je ne réfléchis même pas : je donnai congé au géant et je me fis mancheur.

On appelle mancheurs ceux qui n’ont ni baraque en planche ni tente en toile, mais simplement la permission, de par le préfet ou par le maire, de se tordre les membres, de se casser les reins comme ils l’entendent, dans les carrefours, sur les places, aux coins des rues ! Pour bureau de recette, ils ont une soucoupe cassée, un vieux plat d’étain.

« Allons, mesdames et messieurs, voici notre petit bureau ! Un peu de courage à la poche, s’il vous plaît ! Si notre travail vous paraît honnête et méritoire, ne nous oubliez pas ! Nous recevons tout, depuis un centime jusqu’à mille francs ! Allez, musique !

« La chaise romaine ! »

Et l’on commence ! Pendant qu’on exécute les exercices pour avoir les sept sous qui manquent, — sept sous seulement !! — le pître ou la fille fait le tour de la société et demande pour ses petits profits.