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LE BACHELIER GÉANT.

badauds qui l’insultaient et le casser sur mon genou. J’eus peur des gendarmes, de la prison ; je frémis à l’idée d’être séparé d’elle, et je l’entraînai dans l’obscurité.

Dieu sait ce que nous allions devenir ainsi faits : elle demi-nue, moi, en général, sans chapeau ! Nous n’avions pu rentrer sous la tente où l’on nous aurait suivis et peut-être assommés. Fouille-au-Pot, qui était resté, eut bien de la peine à s’en tirer. C’est de ce jour-là qu’il dit adieu à la banque, et il nous fit savoir quelques jours après qu’il était auprès de Violette, et qu’il vivait de ses économies jointes à celles de sa sœur.

Le hasard, cette providence des pauvres, mit sur notre chemin un enfant de la balle, un sautados (sauteur) qui venait le pauvre garçon ! d’enterrer sa mère à quelques lieues de là, et s’en allait avec sa sœur orpheline, une enfant de huit ans, rejoindre une troupe au bourg voisin.

Nous l’appelâmes.

La petite fille jeta un cri en nous voyant ; mais on s’approcha, on se reconnut ; en deux mots je dis notre histoire, le sautados me conta la sienne, il était pauvre lui aussi, bien pauvre ; mais il avait encore un vieux bonnet de clown qu’il me donna, et Rosita jeta sur ses épaules, que glaçait l’air froid de la nuit, son tapis de travail. Je mis l’enfant fatigué sur mon dos, et, ainsi chargé, je conduisais la marche.

J’avais l’air d’un de ces géants de la Bible, que