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LE BACHELIER GÉANT.

tais, il retournait muet et humble vers ses esclaves ; mais, la nuit suivante, on entendait dans la baraque des cris terribles, des hurlements affreux : c’étaient les Caraïbes, poussés par leur noir truchement, qui demandaient du tabac ou du gin, et il fallait céder ou ils eussent mis en pièces prison et geôliers.

Toutefois, avec les Caraïbes et moi — je me montrais toujours comme géant — la troupe allait son petit train, tout eût été pour le mieux, si nous avions pu nous débarrasser du nègre assassin.

Je lui parlai un matin de nous quitter ; le soir même, le feu prit à la baraque ; et, au milieu des hurlements féroces des Caraïbes, qu’il fallut faire chasser comme des ours et ramener par des soldats, nous vîmes les flammes dévorer notre pauvre caravane avec ce qu’elle contenait : costumes, toiles, accessoires, tout disparut, jusqu’à un portefeuille où étaient serrés quelques billets de banque, que j’allai chercher, les pieds dans le feu, mais en vain. Je vis, au moment où je sautais dans le brasier pour y fouiller, les lèvres noires du nègre s’écarter et sa prunelle s’agrandir. C’est lui, j’y parierais ma tête, qui avait préparé le crime. Il avait juré là-bas, sur le grand rivage, au bord de quelque tombe, haine, haine éternelle aux blancs !

Il ne revit pas son pays, chargé des chevelures de ceux qu’il avait ruinés ou tués ; un jour un des sauvages, ayant la nostalgie du sang, lui ouvrit les entrailles.

Pour nous, nous nous trouvâmes, du jour au len-