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LE BACHELIER GÉANT.

noir de la blessure, et il tomba comme un arbre mort.

Il a rendu le dernier soupir en 185…, à l’hôpital Necker, où nous le fîmes transporter. — Il dort maintenant !

Nous le regrettâmes amèrement, car il avait presque fait notre fortune.

Le lendemain de l’enterrement, Barnum, le grand Barnum que vous ne connaissez que par les livres, mais avec qui, nous autres banquistes, nous avons trinqué, me faisait offrir les sauvages que vous avez vus jadis à l’Hippodrome, de vrais sauvages cette fois, qu’il avait arrachés là-bas à leur patrie et traînés pour les exhiber sous le ciel triste de l’Europe.

Ils étaient huit, conduits par un vieux nègre, qui pouvait seul se faire comprendre d’eux, grâce à quelques bribes de je ne sais quel jargon qu’il avait appris sur un navire, dont, entre parenthèse, il avait tué le capitaine et mutilé le lieutenant ! Nature cruelle et froide, il menait au bâton cette escouade d’exilés.

Laids du reste, et bien tristes, ces fils des lointaines forêts ! Pour remplacer le soleil ardent de leur pays, il fallait entretenir autour d’eux des brasiers rouges, auxquels ils venaient griller leurs jambes et leurs bras amaigris.

Il fallait aussi, pour éteindre leurs rugissements, verser du feu dans leur poitrine, et leur donner du gin à boire. Le nègre était leur porte-voix et mettait sa joie à exciter leur lugubre débauche. Si je résis-