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LE BACHELIER GÉANT.

Pour tout cela, que fallait-il ? m’habiller en général, mettre un colback sur ma tête et un bésigue dans mes bottes.

Le dimanche suivant, à la foire de Thorigny, on m’annonçait à la foule comme l’homme le plus grand du siècle.


Le croiriez-vous ? fit le géant, dont la figure se dérida, ma résolution ne me coûta pas grands soupirs ; les premiers temps furent moins pénibles que vous n’auriez pu le croire, presque gais. J’étais déjà fait à cette vie, le dernier mois passé dans la baraque m’avait aguerri autant qu’humilié ; et puis, on prend vite le mépris de la foule dans ce métier où la foule doit être dupe.

Ma crainte d’être reconnu tomba avec mes cheveux longs et ma barbe claire, et le plus espiègle de mes élèves n’aurait pas reconnu, dans le géant de la foire, l’ancien professeur de collège. Derrière mon masque de fard et de plâtre, je vivais tranquille, caché dans mon amour sauvage.

Devant le public, je posais, et, de mon théâtre qui montait en fuyant, il m’arrivait de faire une chaire de langues, d’où j’embarrassais les pions sales et les professeurs bêtes ; les blouses applaudissaient, et, sur chaque champ de foire, j’avais mon mois de popularité.

Dans notre monde, j’étais un aigle : je donnais des consultations, je rédigeais les boniments, je faisais des pièces pour les spectacles en plein vent, des