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LES RÉFRACTAIRES.

Reste le métier triste de maître d’études : — trente francs par mois, un peu moins d’un sou l’heure ! Encore faut-il qu’il ait le courage d’accepter cette vie avant que la misère l’ait marqué. Le placeur, Justin, Constant ou Voituret, ne lui donnera pas de lettre de crédit s’il ne lui voit pas de chemise. Le ferait-il ? Peine perdue ! L’éleveur, après avoir toisé cet homme timide et laid sous ses guenilles, le reconduira jusqu’à la porte en disant « qu’il a son affaire. » S’il le garde, par besoin ou pitié, ce malheureux sera le jouet, la victime, le chien des enfants. Ils lui demanderont l’adresse de son chemisier, où est sa malle ; un beau jour ils lui cacheront sa culotte pour qu’il ne puisse pas se lever, et attendront qu’il pleure pour la lui rendre !

Mieux vaut gâcher du plâtre, décharger les camions, faire des déménagements dans la banlieue ! Ah ! sans doute ! s’il y avait de l’ouvrage pour eux, s’ils pouvaient quelquefois gagner leur dîner à la force des reins, ces bacheliers sans emploi, combien en verrait-on, le soir, la sangle au cou, les crochets à l’épaule, tirer sur des charrettes en soufflant, ou chanceler sous des fardeaux ! Mais que l’un d’eux aille s’offrir à servir les maçons ou à porter des malles, on regardera ses mains blanches, son habit fripé ; les goujats lui jetteront du plâtre, les com-