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LE BACHELIER GÉANT.

Je ne partis point, et aujourd’hui même que j’ai tant souffert pour n’avoir pas fui, je ne regrette pas d’être resté. Il aurait fallu qu’il n’y eût pas sur elle le fardeau lourd de la misère, sur moi celui plus lourd de la reconnaissance.

Je fondis en larmes, désespéré, et le bruit de mes sanglots attira Rosita.

Je me jetai dans ses bras, comme un enfant, lui demandant pardon, avouant ma détresse.

« Je le savais, » dit-elle.

Et elle ajouta avec mélancolie :

« Il faut partir chez ta mère… »

Ce mot de départ tombant de ses lèvres me rattacha au lieu de m’éloigner. Je me cramponnai, comme un noyé, à mon amour malade, et la suppliai de me garder.

Elle disait : Oui ; mais moi je demandais : Comment ?

« Il y a un moyen, fit-elle.

— Parle… »

Elle hésita un instant, me fixa, puis dit :

Fais-toi géant ! »

Géant ? J’avais donc été au collège, j’avais traduit Virgile et lu Platon pour être géant, à 3 sous les bourgeois, 2 sous messieurs les militaires et les bonnes d’enfants !

Et pourtant, que faire de mieux ? je restais près d’elle ; au lieu d’être à sa charge, j’amenais l’argent dans la caravane, je payais ma dette : j’étais plus que l’amant, presque le mari.