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LE BACHELIER GÉANT.

plaine, le soir, d’un épouvantail pour les oiseaux, qu’emportaient des voleurs de nuit.

L’initiative de Fouille-au-Pot mit fin à cette situation pénible : il osa brusquer le dénouement par une plaisanterie téméraire.

Je me trouvais un jour sur la place pendant la représentation. C’était le tour du cheval savant.

Il avait compté jusqu’à dix, marqué l’heure, dit oui aux morceaux de sucre et non aux coups de bâton.

« Et maintenant, mon pp’tit cheval, cria Fouille-au-Pot, voudriez-vous nous dire quel est le plus ivrogne de la société ? »

Le cheval fit deux ou trois fois le tour du cercle, et, après quelques hésitations, se planta devant un homme au nez rouge et praliné ; et tous de rire, l’homme au nez rouge le premier.

« Le plus amoureux, maintenant ? » fit Fouille-au-Pot en regardant de côté Rosita, qui pâlit ; et moi, je me sentis pâlir aussi.

Deux fois le cheval hésita, une fois de mon côté, une autre fois encore. J’eus le frisson ; au dernier tour, il s’arrêta net devant moi.

Je cherchai des yeux Rosita ; elle se cachait et je restai là, cloué sur le sol, rouge jusqu’aux oreilles et tremblant de la tête aux pieds.

Ce fut le signal des rires. On me jeta des pommes, je fus hué ; et, sans Fouille-au-Pot, qui répara son crime en allant tirer la queue d’un chien égaré dans le rond, j’y serais encore.