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LE BACHELIER GÉANT.

peu des leurs, et que tous ceux qui avaient traversé la ville avaient eu ma visite dans la coulisse, que je voulais mettre aussi la troupe Rosita dans mes mystères de la baraque…

J’étais un curieux et un phénomène ; on sourit, Fouille-au-Pot me mesura, et Rosita me fit voir dans un petit journal illustré d’une grande ville du Midi son portrait avec un bout de biographie. En lisant son éloge fait par un autre, je fus jaloux.

Je promis que je reviendrais, et, en effet, tous les soirs, quand le soleil était tombé, je me glissais du côté du Chemin-Vert, où était la caravane, et sous prétexte d’histoires comiques à écouter et de notes à prendre, je restais là. Rosita venait : toujours coquette, ayant gardé de son costume de zingara un bijou faux, une fleur fanée, un bout d’écharpe : elle racontait ses voyages, je disais mes misères ; je lui apportais des vers quelquefois, elle y mettait un air, les chantait en dansant ; quand elle avait fini, retombant essoufflée dans mes bras, puis m’échappant joyeuse. Je n’osais la poursuivre, et mon corps immense se débattait dans l’angoisse du désir. Mais jamais, alors même qu’elle irritait mon amour par ses familiarités terribles et ses caresses de hasard, elle ne laissait supposer qu’elle eût compris, et elle éteignait l’incendie dans un éclat de rire.


Quelle était-elle, cette femme à la voix tendre et aux yeux doux, qui vivait la vie d’aventures, par les grands chemins, en compagnie de paillasses ob-