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LES RÉFRACTAIRES.

et se traîne en s’appuyant contre les parapets, en s’affaissant sur tous les bancs. Les boutiquiers, en voyant passer quelques-uns de ces pauvres diables, les yeux rouges et les mains sales, chemise fripée et souliers crottés, disent que ce sont des journalistes qui viennent de souper chez des actrices.


II


Qu’il travaille, direz-vous, pour avoir un lit, des chemises, du pain ?

Est-ce quand il rentre le matin de sa course nocturne, quand il a frissonné six heures de froid, de fatigue et de peur, quand il vous arrive, l’œil creux, les genoux tremblants, ne demandant qu’un bout de tapis où étendre son corps brisé, est-ce alors que vous lui clouerez la plume aux mains en le souffletant de votre mépris, si sa paupière alourdie s’abaisse ? Est-ce quand la faim le talonne, le fouette au ventre, le chasse hâve et hagard à travers la rue à la poursuite d’un morceau de pain ? Vous ne voyez donc pas qu’il chancelle ? Voilà deux jours que l’estomac chôme ! Si ce soir il n’a pas mangé, demain il est mort.

Travaille : est bien facile à dire !

Mais où ? chez qui ? rue Saint-Sauveur ou rue Plumet ? S’il savait faire quelque chose, un étalage, une