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LE BACHELIER GÉANT.

l’avancement ; je le devais, comme cela arrive souvent, à mon incapacité et beaucoup aussi à la protection du vicaire général qui me savait gré de n’avoir pas porté dans les ordres ma taille compromettante. J’aurais fait rire du bon Dieu en donnant la bénédiction, et puis je n’aurais pas tenu dans les confessionnaux.

C’est à peine si je tenais dans le collège, je me cognais la tête en entrant dans les classes, je crevais les plafonds, je heurtais les lampes, on ne voyait que moi dans les cérémonies ; le principal était jaloux.

Je vivais pourtant assez heureux, trouvant moyen encore d’envoyer à ma mère quelques économies, me rendant utile, recroquevillé dans ma modestie. Quand les chefs venaient, je me baissais. Pour qu’ils n’eussent pas trop à lever la tête, je laissais traîner la mienne, je me mettais en quatre, me pliais en deux ; on se moquait de moi, je laissais faire. Quand la plaisanterie était passée, je me relevais ; j’étais censé n’avoir pas entendu de si haut ; les petits s’en donnaient à cœur joie. C’est comme cela partout, dans l’université, le gouvernement ou la banque.

J’ai toujours vu les nains tourmenter les géants.

Ces moqueries de collègues ou d’élèves ne me chagrinaient point, et parfois même m’amusaient. Mais quand, par hasard, quelque petite fille ou une jeune femme me montrait du doigt en murmurant : « Ils sont deux, son frère est dessous. — C’est un pari. — Il est en bois. — Jean l’Araignoir !… »