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LE BACHELIER GÉANT.

Le phénomène vint au-devant de mes questions, et descendant de son théâtre après avoir accroché son claque à plumet tricolore à une patère — près du ciel :

« Vous vous demandez, monsieur, comment il se fait qu’on soit géant quand on est bachelier, et qu’on sache si bien le grec dans une baraque. Vous cherchez quelle est cette histoire, je vous la raconterai si vous voulez. Venez ce soir, boulevard des Amandiers, à l’hôtel du Chien savant ; attendez-moi dans le café d’en bas, à onze heures j’arriverai.

La grosse caisse fit boum, boum, boum ! à ce moment.

« C’est la parade qui finit, dit le géant ; je vais remonter sur mon trône. À ce soir donc, et surtout, ajouta-t-il tout bas, n’en parlez pas. »

Je remontai ; le pître, sur les tréteaux, lutinait la femme hercule, et il l’embrassa tout d’un coup, presque sur la bouche, en faisant chanter ses lèvres.

Alors, à travers la toile fendue, je vis se relever le rideau du théâtre, et le géant passer sa tête pâle comme celle d’un mort.

J’allai le soir à l’hôtel du Chien savant, le géant ne se fit point attendre ; il avait troqué son chapeau à claque contre une casquette de velours usé, et jeté un paletot déguenillé sur sa culotte rouge.

« Montons, dit-il, si vous voulez ; ma chambre est en haut, sous les toits, nous y serons plus seuls, et je pourrai causer. »