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LE BACHELIER GÉANT.

qui n’en avaient pas et d’autres qui en avaient trop, j’ai gagné au loto des hommes à patte de homard, et j’ai fait retoucher par des rapins de mes amis des sauvages des mers du Sud.

Non que j’aime l’horrible, ! mais je voulais savoir ce que Dieu avait laissé d’âme dans ces corps mal faits, ce qu’il pouvait tenir d’homme dans un monstre.

Je me demandais comment vivaient ces exceptions étranges, ces vestales mâles et femelles de la difformité, et, pour le savoir, que de fois j’ai remonté l’escalier vermoulu qui est à la queue des caravanes, et qui me transportait, en six marches, de la vie réelle dans la vie affreuse, peuplée d’étonnements comiques et d’êtres sans nom !


Le théâtre était pauvre ici, il consistait en quelques planches posées sur des soliveaux pourris ; le vent faisait claquer les murs de toile, et la pluie passait à travers le velum taillé dans le ventre d’un vieux matelas.

Mais les acteurs excitèrent au premier coup-d’œil ma curiosité. Ils n’étaient que trois cependant qui arrivèrent à tour de rôle : le pître qui, d’une voix grêle, chanta la Belle Bourbonnaise, ce sonnet d’Arvers de la banque ; une femme aux yeux doux, aux bras durs, qui fit voltiger, dans ses mains encore blanches, un essieu de charrette ; enfin, et pour avoir l’honneur de vous remercier, un géant.

C’était un garçon superbe, de trente-deux à trente-