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LES RÉFRACTAIRES.



Les réfractaires à chevrons, ceux qui ont déjà roulé, ont leurs entrées dans quelque cercle, maison de jeu autorisée, où l’on bat les cartes toute la nuit. Ils montent, se confondent avec les parieurs, parlent veine, erreur, coup dur ; le chef de cagnotte les croit à la partie, et ils restent là debout contre les chaises, avec des crampes dans les jambes, le désert dans la gorge, le ventre plat et le cœur gros ! Il y a des gens qui n’ont eu durant des mois entiers d’autre logement que le canapé fané du cercle, où ils se jetaient négligemment comme pour reprendre haleine après une déveine, et ils dormaient ainsi, entre deux décavés, d’un sommeil malsain, jusqu’à ce que, faute de joueurs ou d’enjeux, la partie s’arrêtât. Alors, par quelque temps qu’il fît, par la pluie ou la neige, dans la boue ou la glace, il fallait partir, les pieds gonflés, les genoux brisés, frissonnant au froid du matin, grelottant la fièvre dans cette redingote blanchâtre, tunique de Nessus râpée qui ne se détache que par lambeaux ; quand la peau a mangé le drap : les habits s’usent vite dans cette éternelle familiarité, et les pantalons écarquillent, derrière, des yeux étonnés.

Vers six heures, les églises s’ouvrent : le réfractaire entre, prend de l’eau bénite et va s’asseoir au fond de quelque chapelle, où il dort jusqu’à ce que les loueuses de chaises le dérangent. Il se lève alors,