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D’UN JEUNE HOMME PAUVRE.

famille et les mères de louage ; dans la poche du plus mince employé, du plus pauvre artisan, on entend tinter les pièces blanches qu’ils feront sauter sous la forme d’un lapin à la barrière ou d’une grisette au Casino ; dans ta poche, à toi, qu’y a-t-il ? Un manuscrit fripé des bords, avec un titre… qu’on n’escompte pas à la Banque…

Tous les plaisirs te sont défendus. Tu n’entreras même pas au café-concert, où des fruits secs du Conservatoire et de la rue Bréda écorchent Auber et Rossini : le patron se charge des consommateurs. Ne t’arrête pas bien longtemps : le gérant viendra te dire que tu presses trop sur la chaîne.

Il te reste Guignol, Polichinelle, les macarons, la balançoire ; tu peux encore, en te ruinant, monter sur l’Arc de Triomphe, entrer dans la colonne Vendôme, te faire peser — pour voir de combien de livres on maigrit chaque année, dans les lettres.

L’AMOUR !

L’amour nous reste !

Mais le jeune homme pauvre a pour maîtresses les maîtresses de tout le monde ou la femme d’un autre.

Celles de tout le monde, elles vont où fleurit la demi-tasse, le dîner à trente-deux sous, le cheval de bois et le quadrille échevelé ; elles vont aux poches enceintes.