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D’UN JEUNE HOMME PAUVRE.

Dans la semaine, on va, on vient, on se rencontre, on se bouscule, flâneur ou employé, riche ou pauvre, député, artiste, ouvrier, les paresseux et les vaillants, tous s’agitent, sortent d’ici, courent là-bas, cherchent ceci, cela, du pain, de la gloire, une femme, une rime, un million. Ils vont au bureau, au cours, au journal ou à l’atelier, chez le notaire, chez l’usurier.

Aujourd’hui, ils se promènent ! mot bête ! Tout Paris est sur les boulevards, rue de Rivoli, dans les jardins publics, aux Tuileries, aux Champs-Élysées. Le long des trottoirs et des allées, on voit descendre à petits pas une foule tranquille, émaillée de redingotes vertes et d’habits noirs, de bonnets en tulle et de capotes à plume ; de temps en temps, passe un polytechnicien, le manteau sur l’épaule, ou un élève de Saint-Cyr les mains dans son pantalon rouge, et ici, comme au café, comme partout, le môme abonde ; quelques-uns sont habillés en zouaves avec des culottes fendues par derrière.

Combien est triste et banal ce voyage à travers cette foule épaisse, où se pressent, se mêlent et se heurtent les acteurs en vacance de la grande comédie humaine ! Pas une figure ne se détache en traits heureux sur le fond terne du tableau. Hier samedi, avant-hier, tous les autres jours enfin, les visages reflétaient les âmes, la lèvre était plissée, le pas rapide, le geste vif, le front inquiet, l’œil ardent. Aujourd’hui, le masque est tombé ; on ne voit que des têtes banales sur des épaules bien couvertes ; sourires fades, airs béats. À demain, les affaires sérieuses, les physiono-