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LE DIMANCHE

à la grille du caveau ou à un bras de la croix noire une couronne d’immortelles. Seuls les morts dans la fosse commune dorment sans fleurs et sans prières.


2 heures.

Les maisons sont abandonnées, les magasins fermés, les portes closes. Tout Paris est dehors, et pourtant la plupart des rues sont vides. Ceux qui passent vont lentement et sans bruit, comme des gens qui suivent un enterrement. On dirait qu’un fléau a passé par là : la guerre ou le choléra.

Plus de camions roulant avec fracas sur le pavé, plus de charrettes se heurtant au coin des rues ! Elles dorment dans les chantiers, sous les hangars et dans les cours, les reins à terre, les bras en l’air, et, habitué que l’on est au gémissement des essieux, aux hennissements des chevaux, aux jurons des charretiers, on regarde avec tristesse rouler les petites voitures de place et les longs omnibus conduits par des cochers muets.

Le gamin de Paris, cette sauterelle de la rue, n’est pas là qui gambade entre les pieds des bêtes et les jambes des hommes, jetant au vent son coup de sifflet ou sa chanson. Le cri nasillard du marchand d’habits, la fanfare du fontainier, l’appel plaintif du Savoyard : morts, tous ces bruits, tous ces refrains ! La vie a disparu ; les vivants même ont l’air de n’avoir point d’âme.