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LE DIMANCHE

On se résigne donc. On pèse dans sa poche ce qui reste après déjeuner sur la pauvre pièce de vingt sous ; on compte, on se décide, et l’on demande sa demi-tasse sans petit verre. On contemple avec tristesse le ventre jaune des carafons, qui ne se déboutonnent, hélas ! que pour la somme de 20 centimes…

Cependant, autour de vous, des gaillards à la mine rose, en gilet long, en culottes courtes et en guêtres jaunes, s’arrosent le gosier avec une insolente générosité, et prodiguent les consolations à leurs glorias. Ce sont des laquais de bonne maison. Ils campent fièrement sur l’oreille leur melon de velours ou leur casquette aux tons luisants — le casque en cuir bouilli de la domesticité.

Vous cherchez les journaux. Tous sont en main. Un monsieur à lunettes jette le Figaro avec un air de dédain. Vous l’empoignez. Malheureux ! tu l’as lu, relu, avec l’Illustration, le Monde illustré, le Journal amusant et tous les petits journaux ennuyeux, datés d’aujourd’hui, nés d’hier.

On se tourne alors mélancoliquement vers le billard. C’est bien autre chose ! on y joue des parties à quatre ; c’est une forêt de queues en délire. On regarde la règle, on fait rouler de petites boules en bois peint sur des tringles sales.

« Guâtre aux chaûnes, » dit un Alsacien.

« Chè moa qui a les noerrs, » mâche l’Auvergnat.

« Et moi, les rouzes, » dit le Marseillais.

Et tout ce monde-là vous flanque des coups de queue dans la tête, puis vous demande pardon en