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D’UN JEUNE HOMME PAUVRE.

trois francs cinquante centimes. Vous avez vingt sous dans la poche de votre gilet : comment éloigner l’ennemi ? En lui donnant à laver d’autre linge ou un ouvrage de vos amis — marqué trois francs, prix fort.

Et vous restez seul avec votre chemise ! trop heureux encore ! tant d’autres n’en ont pas ! tel poète que je connais, par exemple, qui, quand il veut changer de linge, prend du papier et une plume, écrit sur le revers Longueville, et se passe cette guirlande au cou !

N’importe, vous êtes triste ; tout cela n’est pas gai. À ce métier, l’esprit se gâte, le cœur se fane. Et alors qu’il faudrait, pour vous distraire des douloureuses rêveries, une chanson joyeuse à vos oreilles, l’éclat du rire entre des lèvres roses, sous votre fenêtre, dans la cour, une voix de femme pleure sur un ton nasillard quelque romance de Paul Henrion. On ne l’entend que ce jour-là. C’est le crapaud qui vient pousser sa plainte hebdomadaire, lâcher aussi sa petite note. C’est le la du dimanche.

On passe son paletot, on ouvre ses croisées. Aux fenêtres voisines, des hommes velus s’écorchent le poitrail avec des serviettes de toile jaune.

Car voici le grand jour de la lessive humaine.

Ce sont les artisans honnêtes qui essuient la poussière du travail, comme les soldats la poudre après la bataille.

On descend.