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LES VICTIMES DU LIVRE.

comme s’ils avaient quelque chose à oublier, puisqu’ils n’avaient jamais rien appris ! — Et, fût-elle vraie cette théorie de la muse fouettée par la bière, des larmes battues par l’absinthe, encore faudrait-il, ce me semble, qu’on eût souffert à jeun et pleuré avant boire…

« Voyez Musset ! » Ils vous fermaient la bouche avec ce mot.

Ils avaient toujours rencontré le poète, l’autre soir, dans une rue borgne, ivre et malade, cherchant le gros chiffre.

Ils mentaient ! Dans leur ivresse, et pour les besoins de la cause, ils voyaient des Musset partout. On m’en a bien montré une dizaine.

Il est mort sans que je l’aie vu.

Ce n’est plus l’absinthe de Musset, maintenant : c’est l’opium de Baudelaire. — Je croyais d’abord qu’ils se calomniaient, ces jeunes gens ; que de gaieté de cœur on ne se détruisait pas l’estomac, on ne se cassait pas le cerveau ; mais non, on en avale bel et bien dans les cafés de Montmartre et du quartier Latin ! Ils en mâchent pour dix sous, et ils en rendent pour cinq francs.


MURGER.

Je passe vite.

Tous ceux qui ont eu trente ans hier, ou les auront demain, ont chanté dans des chambres du quartier Latin le fameux refrain :