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LES VICTIMES DU LIVRE.

« Où suis-je ?… Je ne connais pas ces plantes… On dirait un matelot qui appelle… Pas une habitation… Que dira ma mère ce soir ? »

La mère vous donnait une semonce et une taloche, en vous voyant revenir tout crotté de votre naufrage. Cela ne vous guérissait point, et vous vous couchiez en rêvant de la terre inconnue où tous les jours étaient des dimanches et les vendredis des domestiques.

Quelquefois on tombait chez les sauvages, qui vous nommaient grand esprit, ou bien l’on était quelque part sur les côtes d’Afrique coiffeur de la reine

Quels rêves, mon Dieu ! et que d’heures passées derrière le pupitre, le nez sur le gradus, la tête au diable, à mille lieues de là, sur le Grand-Océan ! On a bien autre chose à faire vraiment qu’à éviter les solécismes et à mettre la quantité ! Et les voyages au vaisseau, et les découvertes dans le nord de l’île !…

Si l’on est roi, les traités à signer, les ambassadeurs à recevoir, les finances à désorganiser — tout est là — pour repartir un jour avec la caisse sur un navire faisant voile pour « la vieille Europe. »

Ah ! quand M. Chose nous reverra, l’homme du second qui nous appelait les pannés du cinquième, et la demoiselle du sous-chef qui riait toujours de vos culottes rapiécées et de vos gilets trop longs… quand ils sauront que vous avez été roi, et des Caraïbes encore ! et que vous revenez millionnaire… — On disait millionnaire, de mon temps.