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DEUX AUTRES.

pauvreté même n’avait pas eu d’humiliation pour lui, tant il savait, en face de ces vils dangers, se tenir ferme et digne. Où est le secret de son suicide ? On prétend qu’il souffrait beaucoup de l’abandon et du dédain que lui témoignaient ceux qui devaient le plus l’aimer ; non qu’il attendît ou réclamât rien d’eux, mais son âme noble gémissait de tant d’indifférence ! Triste de se voir seul au monde, quand les affections naturelles de la famille l’abandonnaient, et qu’il croyait n’avoir que des camarades et pas d’amis, désespéré peut-être de n’avoir pas encore la gloire qui l’aurait consolé, il s’est tué, et sa mort a été modeste et courageuse comme sa vie.

Je ne veux point, en la racontant, écrire une oraison funèbre, ce n’est point une apothéose du mort, que ce soit le châtiment des vivants !

C’est le 12 août qu’a eu lieu le suicide. Il avait, le matin même, déjeuné sous les arbres avec un ami, à Châtillon, et l’avait quitté sans que le frémissement de sa main ou le tremblement de sa voix indiquât qu’il disait un éternel adieu. Le soir, il se rendit au Père-Lachaise, et ceux qui l’y virent entrer ne l’ont pas vu sortir ; il en partit le lendemain sous un drap pour aller reposer sur les dalles froides de la Morgue. Il s’était pendu dans la nuit à la grille d’un caveau habité par des inconnus. Il avait dû rôder longtemps dans le cimetière ; car, quand on découvrit son cadavre à midi, le docteur déclara que la mort remontait à douze heures. C’est vers minuit, sans doute, que tirant de sa poche une corde,