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LES RÉFRACTAIRES.

nilles. Ils rient, c’est là leur courage et leur vertu ; c’est souvent pour ne pas pleurer. Ces rires-là, je les connais : ils valent les larmes des crocodiles.


COMMENT ILS DÎNENT


Comment ? je me le demande quelquefois avec effroi. J’ai le vertige à descendre dans ces estomacs vides. J’ai connu des gens qui n’ont jamais reçu un sou du pays, qui n’ont pas gagné mille francs, que dis-je ? cent écus dans le cours de leur existence, qui n’ont point, que je sache, tué ni volé, et qui ont vécu ainsi des huit, dix, douze années, avec des bissextiles dans le nombre.

Comment ils font pour ne pas mourir ? Ils ne pourraient eux-mêmes vous le dire ! Leur union fait un peu leur force. Ils se connaissent tous dans cette Vendée ! Poètes crottés, professeurs dégommés, inventeurs toqués, sculpteurs sans ciseau, peintres sans toile, violonistes sans âme, ils se rencontrent fatalement, un jour, une nuit, à certaines heures, dans certains coins, sur la marge de la vie sérieuse ; ils se sentent, se reconnaissent et s’associent : ils organisent la résistance, ils collaborent contre la faim.

L’un fait le plan, l’autre les courses. Ils ont le nez fin, les chouans ! Ils flairent une tranche de gigot à une lieue du manche ; ils savent débusquer, ramener,