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DEUX AUTRES.

point son orgueil. Sous prétexte d’attendre l’inspiration, il n’insultait pas pendant les intervalles ses voisins, et ne courait pas le ruisseau ou le cabaret.

Il allait au café pour lire les journaux bien pensants ; Cressot était de l’opposition. Il y allait aussi pour dîner ; il dînait d’une tasse de chocolat ou de café simplement, et avec ses seize sous, se tenait au courant du mouvement. Il dévorait articles, entrefilets, et il était peu de ces plaques en bois tringlées de fer, contre lesquelles son nez ne se fût cogné bien souvent.

Ainsi nourri, il se levait, traînait quelque temps au soleil, puis rentrait chez lui. Il s’asseyait sur son grabat, mettait sa table à côté de lui, et là, laissant aller son âme et retenant son nez, il faisait des vers à la femme, aux fleurs, à Socrate, à Garibaldi !

Quelquefois, il emportait des provisions, puis s’enfermait pendant huit jours avec des saucissons dans ses draps et du pain sous son oreiller, et de sa couche, il composait.

C’étaient souvent des bruits terribles. Son nez s’irritait de la solitude, demandait de l’air ; tant de poésie le fatiguait, il aurait voulu se mettre à la fenêtre. Le tic alors prenait des proportions gênantes. Les jambes tout d’un coup s’en mêlaient, battaient l’espace. Cressot se nouait dans un affreux délire !

Quand Cressot sortait, il avait maigri de dix livres et allongé d’un pouce. Mais il avait accouché d’un sonnet et il allait le lire à ses amis ! Il trouvait assez douce la récompense et recommençait quand il avait