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LES RÉFRACTAIRES.

portent comme une fantaisie. Ils prennent des airs d’inspiré ou d’excentrique, de farceur ou de puritain — Diogène ou Brutus, Escousse ou Lantara. Ils cachent sous le voile de l’originalité leurs angoisses et leur honte, dussent-ils donner des coups de canif dans des bottes neuves pour excuser les trous des souliers passés et des bottines à venir. Ils consentent à passer pour fous, à condition de paraître moins pauvres ; ils laissent dire qu’ils déménagent, pour avoir l’air d’avoir des meubles.

Voilà l’histoire de bien des tournures étranges et de plus d’une tête à la Juif-Errant. Il y a des barbes qu’on laisse traiter de socialistes, parce qu’il en coûte trois sous chaque fois pour se faire raser, et que l’on soupe avec trois sous dans une chambre de réfractaire.

Entre eux, du reste, et le pauvre banal, existe la différence de l’esclavage au vaincu. Ils n’ont point l’air de mendiants, mais d’émigrés. Leur origine se trahit plus fièrement encore dans les rides de leur visage ; j’y lis autre chose que les angoisses d’un corps qui souffre, j’y lis les douleurs de l’orgueil blessé.

Ils rient pourtant : il le faut bien ! — S’ils ne mettaient jamais de masques, s’ils n’attachaient pas de grelots à leur bonnet vert, leurs visages pâles nous feraient peur, nous ne voudrions pas frotter nos habits à leurs haillons, notre ennui tranquille à leur tristesse pleurarde et bête ; leur excentricité fait passer leur misère, jette des fleurs sur leurs gue-