Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/147

Cette page a été validée par deux contributeurs.
140
UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

Gérard de Nerval. Du reste, il y pensait souvent ! J’eus le douloureux avantage de voir Gérard deux jours avant sa mort, et je racontais quelquefois à Planche les détails de cette courte entrevue. Il soupirait bien fort et nous l’entendîmes nous dire un jour que peut-être il mourrait ainsi. Il voulait, lui, se brûler, et anéantir jusqu’à la dernière parcelle de lui-même. Il savait, je crois, disons-le en passant, la gravité de sa maladie. Depuis trois ou quatre ans il se plaignait de ses souffrances, ses jambes refusaient le service, comme on dit, et c’étaient quelquefois au milieu d’une phrase commencée, des cris de douleur atroces. Nous ne savions au juste ce qu’il avait. — Si je pouvais prendre les eaux, disait-il, je le sens, je serais guéri. Les eaux, c’est bon pour les riches. Quelle vie ! murmurait-il en étouffant sa plainte. — Et nous ne savions pour le consoler, que lui rabâcher quelques histoires et lui faire quelques plaisants mensonges. Peut-être est-il mort parce qu’il n’osait avouer son mal ! Planche n’avait pas de vices, et l’on ne peut attribuer aux excès les ravages exercés sur cette robuste nature. Mais on lui avait dit si souvent qu’il était malade de la peste, qu’il n’était qu’un lépreux, et mourrait d’une maladie de peau, que le malheureux avait peur de montrer ses jambes.

Qu’on y songe ! Un traitement de quelques mois l’eût guéri. La honte l’empêcha de voir un médecin. Certes, je ne suis pas seul à penser ainsi. La plupart de ceux qui vivaient dans son intimité croient qu’il existerait encore si la crainte du monde