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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

brûlé par la fièvre. En vain il se tournait et se retournait sur son méchant lit, le sommeil n’arrivait pas. Une rage de dents vient le prendre. Il n’y tient plus. Des frissons glacés courent le long de son corps. Un fagot est là dans le coin de la chambre. Il le jette dans la cheminée, met le feu, et au reflet de l’incendie allume l’éclair de sa phrase. La plume lui brûle les mains, il écrit, il écrit, et le matin l’article était fini.

À quelque temps de là, il sortait d’un cabinet de lecture situé rue Mazarine, ou des Saints-Pères ; une autre personne se lève en même temps. Planche croit entendre l’inconnu demander son nom à la dame du comptoir. À peine dans la rue, il est accosté par un petit homme à perruque rousse, avec un œil de verre. — C’est vous qui êtes M. Planche ? — Oui, monsieur. — Moi, je suis M. de Latouche. Vous avez écrit un article sur moi… — Monsieur, dit Planche, je suis pressé. Voici mon adresse. Choisissez deux hommes, j’en aurai deux. Votre très humble. Et il partit. — M. de Latouche ne vint pas et les deux hommes de Planche attendirent inutilement. Je dois dire que Latouche me paraît avoir été un homme aussi brave qu’intelligent, fort décidé, très résolu. Le silence qu’il garda dans cette occasion, je ne sais trop à quoi l’attribuer. Il comprit sans doute qu’il commettait une faute en se reconnaissant dans cet IL fameux qui est le héros de l’article, et les affaires en restèrent là. Je crois même que depuis les deux écrivains ne se sont jamais rencontrés.