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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

— Vous êtes fou.

— Allons, c’est Buisson qui réparera la faute. Garçon, suivez-moi. Madame, dans un quart d’heure, vous serez payée. »

Et la dame du comptoir fut payée. Le malheureux Buisson s’exécuta : c’était le tailleur de Balzac. Balzac lui devait tant, mais tant, qu’il le gardait en pension chez lui. C’est Buisson qui plaçait les muets aux portes, et protégeait son débiteur contre les autres créanciers ; c’est lui qui soldait les folies de ce grand homme, ses promenades en voiture et ses dîners chez Véry. Planche nous a souvent parlé de ces distractions si communes à Balzac. C’était surtout la politique qui l’occupait. Les offres généreuses qu’il faisait tout à l’heure à Planche, de l’ambassade de Constantinople, du ministère, etc., il les renouvelait souvent. Il sonnait chez vous le matin à deux heures, vous réveillait, cherchait votre linge, préparait vos bottes. Il fallait de suite s’en aller en Beauce, en Chine, au Pérou. Il y avait des millions à gagner, des empires à conquérir, un monde à changer !

Je viens de parler d’un dîner fameux. Planche dîna une autre fois avec le célèbre Cousin. « Je l’avais esbrouffé, disait le grand critique. Il me croyait un ignorant. Il m’interpelle dans les bureaux de la Revue, une petite discussion s’engage sur Platon, et moi de lui dire les dates, l’année, le jour où tel livre avait été fait, de citer des passages… » Bref, Planche aurait été, il paraît, si fort et si savant