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LES RÉFRACTAIRES.

se venger, d’une mort lente, dans une agonie de dix ans, pleine de chagrins sans grandeur, de douleurs comiques, de supplices sans gloire !

Voulez-vous me suivre et faire le chemin ? Il y a des auberges drôles sur la route.


I


Je les reconnaîtrais entre mille, ces réfractaires !

Ce paletot de coupe ambitieuse, brûlé par le soleil et fripé par la pluie ; ce pantalon qui fut gris perle, cet habit à queue de morue dessalée par la misère, qui a déjà servi trois carêmes, sous lequel je l’ai vu trotter l’automne dernier par l’orage, cet hiver sous la neige ! Et la chaussure ! toujours étrange ! des souliers de bal, des bottes de pêcheur, des bottines de femme, ce qu’ils trouvent ! — des pantoufles, quand il y en a. Mon Dieu oui ! j’en ai vu qui ont ainsi traversé la vie — en voisin — en pantoufles et en cheveux. J’ai connu des chapeaux trop larges, donnés par une grosse tête, qui ont été tenus à la main pendant des semaines, des mois, des années. J’en ai connu qu’on n’ôtait jamais parce qu’ils battaient de l’aile, et qu’il aurait fallu les prendre par le tuyau pour présenter ses civilités. Ceux qui le savaient, d’en rire, et les réfractaires aussi ! Pour dissimuler leur misère, ne pas la porter comme un joug, ils la