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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

force l’embrasser. Il le prenait pour un trompette qu’il avait beaucoup connu au régiment.

Faut-il parler d’une de ses manies ? Il était modeste à l’excès, ne parlait jamais de lui-même, permettait fort bien qu’on discutât son mérite. Mais il achetait pour écrire ses grands articles du papier à mille francs la rame. Je grossis un peu le chiffre ; toujours est-il qu’il n’était content qu’après avoir acheté au poids de l’or, une demi-main de papier superbe. « Vous voyez ce grain, faisait-il en caressant la feuille blanche du bout des doigts ; est-ce beau ? c’est du vrai ; trouvez-m’en de pareil ! » Il payait quelquefois ses plumes un prix fou. Sa plume d’or, l’a-t-il regrettée souvent, le malheureux ! Il l’avait perdue, laissée je ne sais où. Et son encre de Chine ! Il prétendait être le seul dans tout Paris et même en France qui eût un vrai bâton.

C’était plaisir que d’attaquer une idée avec des armes si luisantes et si coûteuses ! Ne trouvez-vous pas, dites-moi, dans ces enfantillages, dans ces amours puérils, le signe d’une intelligence honnête et d’un vertueux caractère ? Ces petites choses ont un sens qu’on aime à deviner. Il voulait que l’instrument fût digne du sacrifice. Il immolait les renommées avec une plume d’or.


Voici quelques anecdotes encore à son sujet. Plus d’une lui fait honneur.

C’était chez madame Dorval. Le grand critique venait d’entrer dans le salon.