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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

— Commencez par là, » fit le ministre.

Planche sans doute exagérait et s’amusait innocemment aux dépens de M. de Salvandy. Pourtant il donnait l’histoire comme vraie, et il riait de si bon cœur en la disant !

Il était moins gai les jours où il s’agissait d’aller vendre à M. Lévy un ou deux volumes composés avec ses articles de la Revue des Deux-Mondes. C’était d’abord des serments formidables ; « il ne lâcherait ses livres que moyennant telle somme ; personne ne l’en ferait démordre ; on le saignait, on abusait de lui, on lui faisait même acheter des numéros de la Revue qu’il avait perdus, et sur l’argent qu’on lui donnait, il avait encore deux louis à déduire pour cette dépense imprévue. C’était insupportable, il fallait en finir ! » Nous le voyions donc partir bien décidé, fort en colère, trouvant presque des forces pour marcher droit. Il revenait une heure après, joyeux, frappant sur son gousset. Nous nous frottions les mains, il avait vaincu. Hélas ! on lui avait fait les mêmes conditions, mais en lui montrant un peu d’or. Et il avait pris cent francs. « Avec cela, disait-il, je payerai telle dette. — Et vos serments ? — Que voulez-vous ! » soupirait-il, et il faisait ses petits comptes.

Cette scène peu intéressante mais significative a dû se renouveler souvent. Mais nous l’avons vu se passer dans l’hiver de 1854 à 1855. Le même soir, je le priai de venir dîner avec moi. Un homme de six pieds qui mangeait à ses côtés voulut à toute