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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

content que quand on lui disait : « Savez-vous, monsieur Planche, que tel passage de votre dernier article est bien hardi ? » Il souriait de ce sourire jeune, ou plutôt enfantin, qui éclairait parfois sa bouche petite et fine.

Dans son article sur Brizeux, il avait parlé de César — des phrases innocentes comme l’enfant qui vient de naître ! « Eh, eh ! faisait-il en se frottant les mains et lançant son coup d’œil dans l’espace, on pourrait se fâcher là-haut ! »

Plusieurs fois, m’a-t-on dit, on lui offrit des emplois dignes de lui, avec de véritables appointements. Il était sauvé. On payait les dettes, on allait à la campagne, on faisait le roman. Mais restait-il indépendant ? Pourrait-il parler à sa guise, de certains hommes, dire son sentiment ? — Encore un mot dont il usait souvent. « Pourrai-je dire mon sentiment ? » Il réfléchissait deux minutes, et poussait un soupir. Pour se consoler, il causait médecine avec un de nos bons amis, l’étudiant Collineau ; c’était sa grande prétention ! Il avait commencé, comme on sait, des études médicales, et son bonheur était de parler sciences naturelles, anatomie, pathologie, et le reste. Entre nous, je crois qu’il n’y connaissait rien. Du reste, il était moins instruit qu’on a pu le croire. Quoiqu’il s’amusât encore à nous poser de petites questions embarrassantes, à nous demander des détails sur Jason à propos de M. Legouvé et de sa tragédie, il avait oublié le grec, et ne se souvenait guère du latin. C’était déjà beaucoup de savoir le