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UN RÉFRACTAIRE ILLUSTRE.

payer d’un coup. Il passait pour un voyageur. Personne au moins ne le savait là, on ne s’aventurait pas dans ces rues dangereuses, on n’avait pas même inscrit son nom sur le livre d’hôtel.


Une nuit, il dormait de son bon sommeil, quand il entend frapper à sa porte. Le brave homme se met en colère.

« Au nom de la loi, ouvrez ! » dit une voix. Il se lève plus mort que vif. « Qui êtes-vous ? dit le commissaire en montrant son écharpe, votre nom n’est pas sur le livre ? » Voyez-vous d’ici l’écrivain entouré d’agents de police, questionné, surveillé, forcé de dire son nom, d’avouer sa misère, et encore ne le croit-on pas sur-le-champ ! Peut-être pense-t-on qu’il est là pour ses vices ! Enfin, on le laisse ; il s’habille, reprend sa redingote, sa plume, ses papiers, et le voilà courant la nuit, comme un forçat qui fuit du bagne.

Dans un autre hôtel, il était si craintif qu’à la fin du mois, quand tombait la quinzaine, après avoir bu son café dans les tasses que portait le marchand de vin du coin, il les rinçait lui-même, de peur que cette besogne n’ennuyât le garçon, et que la mère Honoré, la propriétaire, mécontente, ne songeât à demander de l’argent. Puis il s’étendait tout souffrant sur son lit, et se faisait lire le volume dont il devait rendre compte.

Le grand critique ne parlait jamais politique. Il se piquait pourtant d’audace ; il n’était jamais si