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LES RÉFRACTAIRES.

veuille fonder une banque, une école ou une religion !

Des réfractaires, tous ceux qui n’ayant point pu, point voulu ou point su obéir à la loi commune, se sont jetés dans l’aventure ; pauvres fous qui ont mis en partant leurs bottes de sept lieues, et qu’on retrouve à mi-côte en savates.

Réfractaires, enfin, tous ces gens qui vous ont des métiers non classés dans le Bottin : inventeur, poète, tribun, philosophe ou héros…

Le monde veut en faire des percepteurs ou des notaires. Ils s’écartent, ils s’éloignent, ils vont vivre une vie à part, étrange et douloureuse…

Le réfractaire des campagnes, du moins, a pour lui l’amitié des gens du village, l’amour des belles filles de l’endroit : on en parle dans les veillées ; il trouve toujours sous le ventre de quelque pierre des provisions de poudre ou de pain. Il n’a à craindre que les gendarmes ; et encore s’ils sont trop près, les pantalons bleus, il abaisse le canon de son fusil ; s’ils avancent, il fait feu !

Le réfractaire de Paris, lui, il marche à travers les huées et les rires, sans ruser et sans feindre, poitrine découverte, l’orgueil en avant comme un flambeau. La misère arrive qui souffle dessus, l’empoigne au cou et le couche dans le ruisseau : de vaillantes natures souvent, des esprits généreux, de nobles cœurs, que j’ai vus se faner et mourir parce qu’ils ont ri, ces aveugles, au nez de la vie réelle, qu’ils ont blagué, ses exigences et ses dangers. Elle les fera périr, pour