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LES RÉFRACTAIRES.

de leur ambition, n’ont pas daigné se mêler aux autres, prendre un numéro dans la vie ; qui n’ont pu, en tous cas, faire le sacrifice assez long, qui ont coupé à travers champs au lieu de rester sur la grand’route ; et s’en vont maintenant battant la campagne, le long des ruisseaux de Paris.

Je les appelle des réfractaires.

Des réfractaires, ces gens qui ont fait de tout et ne sont rien, qui ont été à toutes les écoles : de droit, de médecine ou des chartes, et qui n’ont ni grade, ni brevet, ni diplôme.

Réfractaires, ce professeur qui a vendu sa toge, cet officier qui a troqué sa tunique contre la chemise de couleur du volontaire, cet avocat qui se fait comédien, ce prêtre qui se fait journaliste.

Des réfractaires, ces fous tranquilles, travailleurs enthousiastes, savants courageux, qui passent leur vie et mangent leurs petits sous à chercher le mouvement perpétuel, la navigation aérienne, le dahlia bleu, le merle blanc ; des réfractaires aussi, ces inquiets qui ont soif seulement du bruit et d’émotions, qui croient avoir, quand même, une mission à remplir, un sacerdoce à exercer, un drapeau à défendre.

Réfractaire, quiconque n’a pas pied dans la vie, n’a pas une profession, un état, un métier, qui ne peut pas se dire quelque chose, ophicléide, ébéniste, notaire, docteur ou cordonnier, qui n’a pour tout bagage que sa manie, sotte ou grande, mesquine ou glorieuse, qu’il fasse de l’art, des lettres, de l’astronomie, du magnétisme, de la chiromancie, qu’il