Page:Vallès - Les Réfractaires - 1881.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.
109
LES MORTS.


IV

Et ce ne sont pas seulement les inconnus, qui se débattent, sanglotent et meurent dans les angoisses de la pauvreté !

Tenez, par là-bas, un homme est enterré, que nous connaissons tous, qui mérita pendant sa vie d’être beaucoup insulté, calomnié[1]. Quoique bien plus jeune que lui, je fus presque son ami. Si je n’ai point assisté à ses derniers moments, si je ne l’ai point vu à son dernier jour, je l’ai suivi pendant ses dernières années, où il descendit pas à pas l’escalier sombre, le chemin obscur qui devait le conduire à l’hôpital.

Ce que la misère lui imposa de sacrifices, lui ôta de courage, lui a peut-être enlevé de talent, nul ne le sait, que ceux qui ont côtoyé sa vie et pu surprendre le secret de son amertume ! Combien croit-on, pour parler comme le monde, qu’il gagnait bon an mal an, le grand critique, l’homme dont un article valait un livre, dont le nom couvrait comme d’un pavillon la Revue célèbre où il imprimait ses jugements sévères sur ses contemporains ? — Ce que gagne un calligraphe à copier des rôles : douze francs la page ; à la fin de sa vie, deux cents francs la feuille : voilà

  1. Voir le chapitre suivant.