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LES MORTS.

comment ils se sont perdus corps et âme dans cette tempête sans éclairs ! Et pour cela faut-il qu’ils meurent ? Nous n’affamons pas les prisonniers, nous ne tuons pas les fous !

Qu’il devienne fou ou qu’il tue, il aura un lit et du pain. D’ici là, il se traînera malade, enlaidi, épuisé, humilié ! Mettez un homme dans la rue, avec un habit trop large sur le dos, un pantalon trop court, sans faux-col, sans bas, sans un sou, eût-il le génie de Machiavel, de Talleyrand, il sombrera dans le ruisseau.

Comme on meurt vite à ce métier, et comme l’esprit se gâte dans cette atmosphère malsaine ! L’aile dans la poussière, touchée au cœur, comme un oiseau blessé, la pensée s’irrite, se désespère. Elle se meurtrit en se débattant, ne s’échappe qu’en laissant un peu d’elle-même, comme le loup dans le piège, qui se coupe la patte entre les dents. Tout s’en ressent : langage, caractère, talent !

Il y a ensuite un danger ! La misère sans drapeau conduit à celle qui en a un, et, des réfractaires épars, fait une armée, armée qui compte dans ses rangs moins de fils du peuple que d’enfants de la bourgeoisie. Les voyez-vous forcer sur nous, pâles, muets, amaigris, battant la charge avec les os de leurs martyrs sur le tambour des révoltés, et agitant, comme un étendard au bout d’un glaive, la chemise teinte de sang du dernier de leurs suicidés !

Dieu sait où les conduirait leur folie ! Nous avons vu ce que valaient ces religions de l’émeute, ces théo-