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LES MORTS.


II

« La misère en habit noir, » dit Balzac. Mais elle a droit de cité dans le monde, celle-là ; elle est admise, tolérée, reconnue. Il y a dans les poches de cet habit noir un portefeuille de ministre.

Il y en a, hélas ! une autre qu’on ne connaît pas, qui n’a ni passeport ni portefeuille, qui ne peut plus mentir, qui bâille par toutes les coutures ; dont on entend claquer les dents, crier le ventre ; qui n’a plus rien à mettre sur ses plaies ; dont les héros sans nom, affamés, grelottants, poitrinaires, portent des gilets trop courts, des redingotes d’invalides, des vestes de première communion, sur des épaules de trente ans ; qui remet à la mode les pantalons à la hussarde et use les derniers gibus ; si grande qu’on n’y croit pas ; affreuse à faire rire, grotesque à faire pleurer ; qu’on chasse des garnis, qu’on met à la porte des maisons honnêtes ; qui rôde, l’œil hagard, les jambes tremblantes, autour des restaurants borgnes et des maisons aux allées noires.

À peine on en compte un cependant, qui, dans cette vie de privations et de souffrances, se soit écarté du devoir, ait violé la loi ! Ils ont laissé par les chemins des lambeaux de leur fierté, mais ils ont encore