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je vois une meule de foin ; la lune étend de l’argent sur les prés. Ah ! j’étais fait pour grandir et pousser au milieu de ce foin, de ces arbres ! J’aurais été un beau paysan ! Nous nous serions bien aimés tous les trois : le père, la mère et le garçon !


C’est bien du sang de village qui courait sous ma peau, gourmande de grand air et d’odeur de nature. C’est eux pourtant qui voulurent faire de moi un monsieur et un prisonnier.

Eh bien ! je me rappelle que je voulus me tuer à douze ans, parce que le collège était trop triste et trop méchant pour moi. Oui, mon père, vous qui êtes là avec votre front pâle et glacé comme du marbre, sachez que, comme écolier, j’ai souffert jusqu’à vouloir être la statue froide et dure que vous êtes aujourd’hui !

Vous ne vous doutiez pas de mon supplice !

Vous pensiez que c’étaient grimaces d’enfant, et vous me forciez à subir la brutalité des maîtres, à rester dans ce bagne — par amour pour moi, pour mon bien, puisque vous pensiez que votre fils sortirait de là un savant et un homme. Je ne suis devenu savant que dans la douleur, et, si je suis un homme, c’est parce que dès l’enfance je me suis révolté — même contre vous.


Nous n’avons pas eu le temps de nous revoir pour nous serrer la main et nous embrasser.

Avez-vous au moins pensé à moi, au moment