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Ah ! je suis empoigné et envahi par le dégoût !

J’ai longtemps réfléchi, écrit — pour la joie austère d’écrire et de réfléchir. J’ai tiré ma charrette courageusement ; je n’ai pas pensé, comme bien des jeunes, à franchir le chemin au galop… je me suis défié de mon inexpérience et de mon orgueil ; je me suis dit : « À tel âge, tu devras avoir fait ton trou » et mon trou n’est pas fait.

Voilà longtemps, bien longtemps, que j’ai jeté le manche après la cognée !

C’est fini : je me mangeais le cœur, je me rongeais le foie dans la solitude de ma chambre, en face de mes productions, qui sortaient muettes de mon cerveau et que je n’entendais ni vivre, ni crever.

Une mère finirait par cracher sur son fruit et sur elle, si tous ses enfants étaient mort-nés !


Je suis trop mal vêtu pour passer l’eau. — J’y trouverais des arrivés qui auraient pitié de ma misère ou qui me régaleraient. — Je ne me laisse pas régaler, ne pouvant rendre les régalades.

Et je rôde dans deux ou trois rues du quartier latin, toujours les mêmes, cherchant l’ombre !

Ah ! j’aurais besoin d’air, d’air clair et d’un peu de vin pur !

Si je trouvais de quoi m’habiller et payer mon voyage, je partirais au pays, chez l’oncle le curé, au sommet de Chanderolles.

Il y a là du vin et le grand vent ! Je verrais ma mère en passant.