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XXXII

AGONIE

Les années se sont écroulées sur les années ; j’ai vu revenir les étés et les hivers, avec la monotonie implacable de la nature. — L’Odéon, glacé en décembre, frais en avril : voilà tous les souvenirs qui emplissent ma tête et mon cœur depuis une éternité.

Est-ce un total de mille ou de deux mille journées sans émotion que j’ai à enregistrer dans l’histoire de ma vie ? Je ne saurais le dire.

C’est affreux de ne pouvoir ressusciter une image, une scène, une tête, pour les planter le long de la route parcourue, décolorées ou saignantes, afin de se rappeler les moments de joie et de douleur !

Eh bien, le chemin par où je me suis traîné s’étend comme un sentier désert et se perd à travers le blanc de la neige ou le noir des ruisseaux, sans une pousse ou une racine qui soient restées, pour que ma mémoire s’y accroche et sauve un événement du naufrage ! Je