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Quand il est monté, soutenu par deux d’entre nous, la couverture blanche prêtée par la châtelaine de Robinson était comme un manteau de pourpre.

Lorsqu’on n’est pas mort après avoir perdu tant de sang, on ne doit pas mourir.

J’ai serré sa main gauche, j’ai salué les gens, et je suis parti.


Je me suis attardé dans ces sensations et ces détails, parce que les gestes et les paroles de ce jour-là eurent pour témoin la campagne heureuse, parce que le soleil versait de l’éclat et de la joie sur les cimes des arbres et sur nos fronts ; parce que les heures que prit cette rencontre furent les premières qui ne sentirent pas la gêne et la honte, le souci du lendemain.


Je suis tout confus des éloges de quelques-uns, qui parlent de mon sang-froid par-ci, de mon sang-froid par-là… Mais je n’y ai pas grand mérite ! Ils ne savent pas combien ma résolution de rester un insoumis et un irrégulier, de ne pas céder à l’empire, de ne pas même céder aux traditions républicaines, que je regarde comme des routines ou des envers de religion, ils ne savent pas combien cette vie d’isolé m’a demandé d’efforts et de courage, m’a arraché de soupirs ou de hurlements cachés ! Ils ne le savent pas !…

C’est pendant ces années de bûchage sans espoir et sans horizon que j’ai été brave ; appelez-moi un héros à propos de cela, je ne dirai pas non ! Mais