Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous revenons vers Legrand, adossé contre un arbre, le bras pendant.

« Il est si lourd ! » dit-il avec une expression de souffrance.

Que faire de ce grand corps cassé ?

Les témoins, qui ont choisi le terrain, l’ont choisi éloigné des maisons, et l’on n’aperçoit pas même une ferme à l’horizon. On ne voit que la grande route blanche et des nappes d’herbe verte.

Pour comble de malheur, nous ne nous sommes pas aperçus, en entrant, que nous enjambions des fossés et des barrières, que nous nous écorchions à des haies, que nous poussions des obstacles. Mais à présent, nous voyons que, pour sortir, il faut casser des branches, sauter un ruisseau, escalader un buisson…


On s’en est tiré tout de même. On a trouvé un endroit par où l’on a fait passer le cul d’une charrette à bras, dans laquelle on hisse Legrand ; puis, le tassant comme un sac, on l’a accoté dans un des coins.

Nous nous mettons en route.

Nous voici près de Robinson. Une troupe de joyeux garçons et de jolies filles blaguent notre procession, comme ils appellent notre défilé muet et triste. Un coucou à voyageurs frôle la roue de la charrette, et le conducteur fait mine d’agacer avec la mèche de son fouet Legrand qu’il croit pochard.

« Mais le sang pisse par les fentes ! » crie tout d’un