Page:Vallès - Le Bachelier.djvu/419

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a plus. Ma balle, si elle touche, ricochera sur toute cette race de gens qui, ouvertement ou hypocritement, aident à l’assassinat muet, à la guillotine sèche, par la misère et le chômage des rebelles et des irréguliers…

Je ne lâcherais pas pour une fortune cette occasion qui m’est donnée de me faire en un clin d’œil, avec deux liards de courage, une réputation qui sera ma première gloire, — ce dont je me moque ! — mais qui sera surtout le premier outil dur et menaçant que je pourrai arracher de mon établi de révolté.


En place — et feu !


Je ne jette ces mots dans l’oreille de personne, mais je les murmure comme une conclusion ; c’est le total de mon calcul.

Nous passons devant une ferme. Les témoins demandent s’il y a quelque chose à boire. Je prends un verre d’eau, Legrand aussi ; il faut se battre bien de sang-froid Nous avons eu la même idée tous deux ; comme moi, il sent que cette heure était nécessaire pour nous, et il sent aussi qu’un flot de sang, d’où qu’il jaillisse, lavera la crotte et la tristesse de notre jeunesse !

« Messieurs, dit d’une voix un peu tremblante un des témoins, je viens de marcher en avant, et je crois avoir trouvé une place. »

On n’entend que des bouts de branches mortes qui crient un peu sous les souliers, des toussements courts