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vous sentez bien — Matoussaint n’a pas le sou… c’est un pané… ça écrit. »

Les concierges m’ont l’air tous du même avis pour les écrivains.

« Et Matoussaint est chez lui ?

— Non, mais il ne ratera pas l’heure du dîner, allez ! vous le verrez rentrer avec sa canne de tambour-major et son chapeau de jardinier quand on sonnera la soupe. »

Je vois, en effet, au bout d’un instant, par la cage de l’escalier, monter un grand chapeau sous lequel on ne distingue personne — les ailes se balancent comme celles d’un grand oiseau qui emporte un mouton dans les airs.


« C’est toi ?…

— Matoussaint !

— Vingtras ! »

Nous nous sommes jetés dans les bras l’un de l’autre et nous nous tenons enlacés.


Nous sommes enlacés.

Je n’ose pas lâcher le premier, de peur de paraître trop peu ému, et j’attends qu’il commence. Nous sommes comme deux lutteurs qui se tâtent — lutte de sensibilité dans laquelle Matoussaint l’emporte sur Vingtras. Matoussaint connaît mieux que moi les traditions et sait combien de temps doivent durer les accolades ; quand il faut se relever, quand il faut se reprendre. Il y a longtemps que je crois avoir été