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tu ce courage, cette lâcheté ? Mon pauvre Vingtras, je suis commerçant parvenu, et je sais ce que c’est !… Tu entrerais chez mon père demain, que dans quinze jours, tu le souffletterais et l’insulterais ! — si brave homme qu’il soit ; si bon garçon que tu puisses être ! N’y pense plus ! Mieux vaut que tu ailles porter ailleurs tes gifles et ton ambition. »

Je me suis mis à rire. Il m’a fait remarquer que mon rire seul était un obstacle.

« Un tonnerre ! Mauvais vendeur, avec ce rire-là !… Mais tout est contre toi, malheureux ! Tes yeux noirs, ta voix de stentor, ton air d’insurgé, de lutteur !… Il ne faut pas ça pour écouler du ruban ou du drap, pour faire l’article, glisser le rossignol ! Raye le commerce de tes papiers — à moins que tu ne t’engages, ne te fasses un de ces matins glorieusement trouer pour la patrie, et qu’on te décore ! Tu pourras alors, comme l’homme du Prophète, avec une calotte à glands et un habit noir, te tenir à l’entrée des magasins pour ouvrir les portes, pour porter les parapluies des clients, faire enseigne, en étalant, large comme un chou, le ruban de ta boutonnière. »


Il faut que j’en aie le cœur net cependant !

Je vais m’adresser à tous ceux qui ont paru m’aimer un peu, et leur demander des lettres de recommandation pour n’importe qui et n’importe où.

J’ai écrit à tous mes anciens professeurs — non, pas à tous ! je n’avais pas de quoi affranchir, et il ne me restait plus de papier.