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peau bleue, et ses oreilles s’écartaient comme celles des poitrinaires.

— Monsieur, m’a-t-il dit, je suis bachelier. J’ai commencé mon droit. Mes parents sont morts, ils ne m’ont rien laissé. J’ai été maître d’études, mais on m’a renvoyé parce que je crachais le sang. Je n’ai pas de logement et je n’ai pas mangé depuis deux jours.

J’ai éprouvé une impression de terreur, comme une nuit où, dans la campagne, j’avais été accosté, au détour d’un chemin qu’inondait la pleine lune, par une mendiante qui avait une grande coiffe blanche, la tête ronde et blême, l’œil fixe, et qui était recouverte d’une longue robe noire.

Je vis à un mouvement de cette robe, relevée tout d’un coup d’un geste gauche, que c’était un homme habillé en femme ! Pourquoi ? Était-ce un fou ou un assassin ? un échappé d’asile, un évadé de bagne las de la fuite et qui s’arrêtait une minute entre la prison et l’échafaud ?

De ses lèvres sortirent ces seuls mots :

— N’ayez pas peur, allez ! Ayez pitié de moi.


Devant cet homme de Paris avec ses oreilles décollées, et qui murmurait : « Je suis bachelier, je crache le sang, je meurs de faim », devant cette apparition, comme devant l’homme habillé en femme, j’ai ressenti de l’épouvante !

Il est bachelier comme moi… et il mendie ; et il n’en a pas pour une semaine à vivre… peut-être il va pousser un dernier cri et mourir !