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insultent et qui les gênent ; ne trouvant nulle part un abri contre les préjugés et les traditions qui me cernent et me poursuivent comme des gendarmes, je ne pourrais être aimé que de quelque femme qui serait une révoltée comme moi. Mais j’ai remarqué que la révolte tuait souvent la grâce ! Et, moi, je voudrais que celle à qui j’associerais ma vie eût l’air femme jusqu’au bout des ongles, fût jolie et élégante, et marchât comme une grande dame ! C’est terrible, ces goûts d’aristocrate avec mes idées de plébéien !

« Mais si tu tombais malade loin de moi, ou quand je serai morte ! »


Tomber malade, allons donc !

Il faudra qu’on me tue pour que je meure ; et l’on me tuera certainement avant que le hasard ait apporté la maladie. Je cours trop après l’insurrection et la révolte pour ne pas tomber bientôt dans le combat.

Le sentiment du repos et le désir de l’existence calme sous la charmille ou au coin du feu ne me sont pas venus ! — Sacrebleu non !

J’ai d’abord à briser le cercle d’impuissance dans lequel je tourne en désespéré !

Je cherche à devenir dans la mesure de mes forces le porte-voix et le porte-drapeau des insoumis. Cette idée veille à mon chevet depuis les premières heures libres de ma jeunesse. Le soir, quand je rentre dans mon trou, elle est là qui me regarde depuis des années, comme un chien qui attend un signe pour hurler et pour mordre.