puyer et que moi à aimer. Mais en voyant se dresser entre nous trois, elle, moi et mon père absent, cette reliquaillerie, c’est de la colère qui m’a pris les nerfs, et le sentiment de mélancolie qui m’envahissait a fait place à une sensation de mépris, dont ma figure a laissé voir les traces.
Je me suis échappé pour rôder dans la ville.
« Es-tu allé voir le collège ? m’a dit ma mère quand je suis rentré.
— Non. »
Elle ne comprend pas les chagrins immenses pour mon âme d’écolier qui me dévorèrent dans les écoles aux murs sombres. J’allais brutaliser sa tendresse avec des gestes de rancune sauvage et mes exclamations de fureur… J’ai dû me taire !
Le collège ? — J’ai pu aller jusqu’à la porte ; encore mon cœur battait-il à se casser ! Quand j’ai pris la petite rue qui y mène, je titubais comme un homme ivre.
Mais arrivé devant la grille, j’ai dû m’appuyer contre une borne pour ne pas tomber.
C’est là-dedans que mon père était maître d’études à vingt-deux ans, marié, déjà père de Jacques Vingtras.
C’est là qu’il fut humilié pendant des années ; c’est là que je l’ai vu essuyer en cachette des larmes de honte, quand le proviseur lui parlait comme à un chien ; c’est là que j’ai senti peser sur mes petites épaules le fardeau de sa grande douleur.