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tombent en garde, je m’adresse à des Royanny, qui n’en sont pas ; j’ai l’air hagard, le geste fiévreux.

Ce qui me fatigue horriblement, c’est mon paletot d’hiver que j’ai gardé pour la nuit en diligence et que j’ai porté avec moi depuis mon arrivée, comme un escargot traîne sa coquille, ou une tortue sa carapace.

Le laisser aux Messageries c’était l’exposer à être égaré, volé. Puis il y avait un grain de coquetterie ; ma mère a dit souvent que rien ne faisait mieux qu’un pardessus sur le bras d’un homme, que ça complétait une toilette, que les paysans, eux, n’avaient pas de pardessus, ni les ouvriers, ni aucune personne du commun.

J’ai jeté mon pardessus sur mon bras avec une négligence de gentilhomme.

Ce pardessus est jaune — d’un jaune singulier, avec de gros boutons qui font un vilain effet sur cette étoffe raide. Cet habit a l’air d’avoir la colique.

On ne le remarquait pas, ou du moins je ne m’en suis pas aperçu, dans la rue des Vieux-Augustins ou sur les boulevards, mais ici il fait sensation. On croit que je veux le vendre ; les jeunes gens se détournent avec horreur, mais les marchands d’habits approchent.

Ils prennent les basques, tâtent les boutons, comme des médecins qui soignent une variole, et s’en vont ; mais aucun ne m’offre un prix. Ils secouent la tête tristement, comme si ce drap était une peau malade et que je fusse un homme perdu.

Et il pèse, ce pardessus !